Me Nawal Lachguar – Avocate au Barreau de Rabat
Article publié dans la revue juridique la Lettre d’Artémis
Certaines règles de la procédure civile ont été mises en place pour protéger et garantir les droits des justiciables. Elles découlent de certains principes consacrés par la Constitution, notamment, les principes d’égalité devant la loi et devant la justice, les droits de la défense et le droit de recourir à un juge. A titre d’exemple en ce qui concerne les droits de la défense, l’article 120 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable. Les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions. »
Un des aspects du droit de la défense est le droit au respect du contradictoire. Il implique que toute personne doit être informée de l’existence d’une procédure engagée contre elle. Cette information est réalisée à travers la convocation qui obéit à des règles spécifiques mises en place par le législateur afin de ménager le temps suffisant pour préparer une défense. Ce délai est de huit jours au moins avant l’audience en ce qui concerne les litiges sociaux. L’article 274 du Code de procédure civile dispose que la convocation à audience est adressée aux parties « huit jours au moins avant la date fixée pour la comparution. »
S’agissant d’une règle fondamentale mise en place pour protéger un droit fondamental, ce délai est scrupuleusement respecté par les juges du fond qui ne se bornent pas à vérifier que le défendeur a été convoqué à l’audience mais vérifient que le délai de huit jours a bien été respecté et renvoient à audience ultérieure avec nouvelle convocation du défendeur (généralement l’employeur) dans le cas contraire.
Cependant, un certain nombre de juges, au tribunal de première instance de Kénitra ont pris pour nouvel usage depuis quelques années de se contenter de renvoyer à audience ultérieure, sans nouvelle convocation du défendeur[1] en cas de non-respect du délai d’au moins huit jours entre la date de la convocation et la date de la comparution. Il ne s’agit pas d’un usage anecdotique mais d’une pratique constituant un courant aux conséquences néfastes au climat des affaires, puisque Kénitra est une ville qui accueille un grand nombre d’investisseurs internationaux dans sa zone franche, Atlantic Free Zone, notamment dans des industries employant une importante main d’œuvre comme celle du câblage automobile.
Les juges de Kénitra motiveraient cette absence de nouvelle assignation par les termes mêmes de l’article 274 du CPC, qui contrairement à l’article 40 du même Code, ne prévoit pas explicitement de nullité en cas de non-respect du délai de convocation.
En effet, pour les litiges autres que sociaux, l’article 40 du CPC dispose que : « Il doit y avoir entre la notification de la convocation et le jour fixé pour la comparution, un délai de cinq jours si la partie est domiciliée ou en résidence dans le lieu où siège le tribunal de première instance ou dans une localité limitrophe, et de quinze jours si elle se trouve dans tout autre endroit sur le territoire du Royaume, à peine de nullité du jugement qui serait rendu par défaut. »
Ainsi, à la différence de l’article 274 du CPC, l’article 40 du CPC tire explicitement la conséquence du non-respect du délai de convocation qui sera la nullité du jugement. Profitant donc de cette « brèche » dans l’article 274, certains juges considèreraient qu’il n’est pas utile de re-convoquer le défendeur (en général l’employeur)… Paradoxalement, leur décision même de renvoi à audience ultérieure est motivée par le fait que la convocation ne respecte pas le délai de convocation de huit jours. Alors qu’il ne s’agit pas d’une procédure en référé, comment peut-on renvoyer à audience ultérieure pour non-respect du délai de convocation mais décider de ne pas re-convoquer le défendeur absent ? Pourquoi décider de passer outre une règle basique de la procédure civile ? Serait-ce pour une volonté de réduction des délais de traitement des dossiers et afficher ainsi une célérité de façade, au détriment des droits fondamentaux des justiciables ?
Car s’agissant d’une formalité substantielle relative aux droits de la défense et notamment le respect du contradictoire, le non-respect du délai de convocation ne constitue pas un simple vice de forme et doit être sanctionné par la nullité de la convocation, dès lors que le défendeur n’a pu de ce fait organiser sa défense. Cette nullité de la première convocation doit entrainer une nouvelle convocation, car le défendeur n’a pas été avisé de la date de l’audience ultérieure. La Cour de cassation considère d’ailleurs que l’irrégularité de la convocation des parties constitue une atteinte aux règles des procédures relatives aux droits de la défense[2].
Certes, le principe du contradictoire a des exceptions, notamment, la procédure sur requête et des procédures d’injonction de payer dans lesquelles le défendeur n’est même pas appelé. Mais, même dans ces cas, le défendeur non-comparant et non-informé de la procédure dispose de la voie de recours de l’opposition, qui va lui permettre d’être jugé à nouveau et de manière contradictoire par la juridiction qui avait initialement statué par défaut.
Par ailleurs, la procédure civile en matière de litiges sociaux a une autre spécificité : la procédure de conciliation préalable obligatoire en première instance. L’article 277 du CPC dispose en effet : « Le juge, au début de l’audience, tente de concilier les parties ». Ainsi, les parties doivent obligatoirement être régulièrement convoquées à cette audience de conciliation qui ne peut avoir lieu que devant le tribunal de première instance et non devant la Cour d’appel[3]. Comment le tribunal de première instance pourrait-il conclure à l’échec de la procédure de conciliation pour absence de l’employeur à une audience à laquelle ce dernier n’a pas été régulièrement convoqué ?
Le non-respect du délai de convocation prévu à l’article 274 du CPC, entraine donc la privation du défendeur de son droit au respect du contradictoire, de la procédure de conciliation et d’un degré de juridiction, puisqu’il n’a pas pu se défendre en première instance. En cela, loin d’être une simple norme technique, la règle de procédure civile relative à la convocation dans un délai de huit jours, est une règle de procédure fondamentale et impérative dont la violation par une juridiction entraine l’annulation du jugement.
Une telle pratique dont
la motivation serait, pour prêcher la bonne foi, d’accélérer la machine
judiciaire au profit des justiciables notamment des salariés au désarroi d’un
conflit social préjudiciable, exposerait les jugements rendus à un recours systématique
et une annulation qui finalement réduirait à néant, cette même célérité.
[1] Tribunal de première instance de Kénitra, 10 janvier 2018, 1111/1501/2017 n° de jugement 37
[2] Décision de la Cour de cassation en date du 30 mars 1975 (الشرح العلمي لقانون المسطرة المدنية ص.276 )
[3] Chambre sociale de la Cour de cassation, 24 septembre 1980, décision 369, dossier 83874, et 24 avril 1989, décision 720, dossier 87/8658
